Georgette Agutte (1867-1922)

vendredi 3 mai 2013
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Une femme artiste d’avant-garde


La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin est une libération.
Henri Matisse

1867 – Le 17 mai, naissance de Louise Georgette Agutte(s) à Paris (IVe) au sein d’une famille aisée, particulièrement attachée et attentive à l’éducation artistique.
Son père, Jean Georges Aguttes, artiste peintre, élève de Camille Corot et Félix Barrias expose en 1863 et 1865 des vues de Chantilly et de ses environs.
Il décède accidentellement le 6 janvier 1867, plusieurs mois avant la naissance de sa fille.

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Georgette Agutte, "Parterre de tulipes à Bonnières"
Huile sur toile, s.d
© Musée de Grenoble

Sa mère, Maria Debladis (1844-1934) épouse en secondes noces le mari de sa sœur Anna (1838-1870), Pierre Nicolas Hervieu (1827-1897), Conseiller d’État, resté veuf.
En premières noces, Pierre Nicolas Hervieu et Anna Debladis eurent deux enfants, Louis et Jenny. De cette seconde union avec Maria naîtra Marie.

Georgette Agutte passe son enfance et son adolescence entre Paris et Bonnières-sur-Seine, dans une maison mitoyenne de l’ancienne poste du village, habitée par la famille Sembat, en compagnie de son demi-frère Louis et de ses deux demi-sœurs, Jenny et Marie.

Jeune fille, elle s’initie à la sculpture académique auprès de Louis Schrœder (1828-1898)

1887 – Première participation au Salon des artistes français qui se tient chaque année à Paris depuis 1881, succédant au Salon de l’Académie des Beaux-arts, héritière de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture.

Georgette Agutte y présente deux bustes en plâtre, parmi les œuvres d’autres exposants célèbres tels Cézanne, Renoir ou Monet,

1888 – Georgette Agutte épouse le jeune critique d’art Paul Flat (1865-1918), secrétaire général de la Revue Bleue, qui l’introduit dans le monde de l’art parisien.

Seconde participation au Salon des artistes français.

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Georgette Agutte, "La Douleur"
Plâtre, circa 1910
© Musée de Grenoble

1893 – Paul Flat et René Piot (1869-1934) publient le Journal de Delacroix.

La lecture du Journal se révèle capitale pour Georgette Agutte qui commence à peindre.

Par l’intermédiaire de René Piot, Georgette Agutte est admise à l’École Nationale des Beaux-arts dans l’atelier de Gustave Moreau, comme élève libre. (Les Beaux-arts ne s’ouvriront aux femmes qu’en 1897)
Y étudiaient alors, Henri Matisse, Paul Signac, Georges Rouault, Albert Marquet et Charles Camoin.
Les talents d’orateur de Gustave Moreau et la liberté totale qui laissa à chacun de ses élèves, avec pour seule règle le développement de leur propre personnalité ont sans conteste joué un rôle important dans l’enseignement que reçu Georgette Agutte, elle qui, comme les peintres Suzanne Valadon (1865-1938), Jacqueline Marval (1866-1932) ou Émilie Charmy (1878-1974) furent si souvent victimes des préjugés misogynes de la critique.
Ainsi admire t-on Georgette Agutte pour « ses notations énergiques », presque « mâles » en s’exclamant, in fine, « C’est un homme, vraiment ! »

Cette même année vit le début de sa liaison amoureuse avec Marcel Sembat (1862-1922), facilitée par une proximité géographique de choix, Anna Debladis, la tante de Georgette Agutte, occupant la maison mitoyenne de celle de la famille Sembat à Bonnières.

Député de Montmartre, membre fondateur de la SFIO, Ministre des Travaux Publics de 1914 à 1916, journaliste, orateur hors pair et franc-maçon, Marcel Sembat était aussi un amateur d’art chevronné et un mécène attentif.

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Georgette Agutte, "Marcel Sembat lisant"
Huile sur toile, s.d
© Musée de Grenoble

Pionnier d’une véritable démocratie de la culture, (il défendra entre autre, la gratuité des musées) intervenant régulièrement sur les questions artistiques à la Chambre, théoricien le plus précoce de la peinture de Matisse, il lui consacra la première monographie d’importance en 1920 (Henri Matisse, trente reproductions de peintures et dessins, précédées d’une étude critique par Marcel Sembat, de notices biographiques et documentaires, Paris, Éditions de la Nouvelle revue française, 1920)

1894 – Faisant preuve d’une audace singulière, le divorce n’étant légalement autorisé que depuis 1888, Georgette Agutte rompt son union avec Paul Flat.
Ce dernier conservera à son égard une attention particulière et restera un critique soucieux et attentif.

Au même moment, preuve d’un tempérament singulier et d’une indépendance assumée, Georgette Agutte décide désormais de prendre pour nom d’artiste « Agutte » en supprimant le « s » final de son patronyme.

1897 – Le 27 février, Georgette Agutte épouse Marcel Sembat, ce dernier confessera dans son journal qu’il était déjà ardemment séduit par les charmes de Georgette dès 1889.
Leur union, plus proche de la fusion, les poussa à solidariser par l’intérieur leurs demeures mitoyennes.

1900 – Le couple Sembat voyage dans presque tous les pays d’Europe avec une passion pour les Alpes suisses et Chamonix où ils pratiquent l’alpinisme.

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Georgette Agutte, "Glacier"
Aquarelle gouachée et crayon sur carton, s.d
© Musée de Grenoble

Avec une prédilection pour l’aquarelle et la gouache, faciles à transporter, Georgette Agutte exécute un nombre important d’aquarelles gouachées qu’elle montra régulièrement dans les Salons ou lors d’expositions dans les Galeries.

1902 – Les Sembat s’installent dans une maison près du Moulin-Rouge, au pied de la Butte Montmartre 11, rue Cauchois mais retournent aussi souvent que possible à Bonnières.

1903 – Georgette Agutte expose au Salon d’automne fondé le 31 octobre de la même année au Petit Palais, à l’initiative du Belge Frantz Jourdain (1847-1935), architecte, homme de lettres et grand amateur d’art, président du syndicat de la critique d’art.
La philosophie du salon est alors de pouvoir offrir des débouchés aux jeunes artistes et, par la même occasion, de faire découvrir l’impressionnisme et ses prolongements à un public populaire, Jourdain étant l’auteur de nombreux textes défendant l’Art nouveau.

Georgette Agutte participa au Salon d’automne chaque année jusqu’en 1913 et de 1919 à 1922.

La même année, Les Sembat font la connaissance d’Henri Matisse par l’intermédiaire de René Piot.
Les échanges sont fructueux et les relations d’amitiés, comme d’ailleurs ont su les nouer le couple avec d’autres grands artistes tels Signac, Luce, Rouault, Marquet ou le céramiste Metthey, sont profondes et sincères.
Tous participent de près ou de loin à la carrière de Georgette Agutte, soit par l’influence directe exercée sur son travail (ce sera notamment le cas pour Matisse ou Claude Monet, son « Cher Maître ») soit par de nombreux échanges épistolaires.

1904 – Georgette Agutte expose pour la première fois au Salon des Indépendants fondé en 1884 en tant qu’association, puis reconnu d’utilité publique le 30 mars 1923. Héritier du Salon crée par Louis XIV à la demande des artistes qui souhaitaient présenter leurs œuvres en toute indépendance, l’essor du Salon des Indépendants est à mettre au crédit d’un « petit groupe d’artistes novateurs » : Paul Cézanne, Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec, Camille Pissarro, Odilon Redon, Georges Seurat, Paul Signac, revendiquant de présenter en toute liberté leurs œuvres au public

Georgette Agutte y exposa chaque année de 1904 à 1914 puis de 1920 à 1922.

1905 – Le 18 octobre, le troisième Salon d’Automne s’ouvre au Grand Palais.

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Georgette Agutte, "Jardin à Bonnières"
Huile sur toile, s.d
© Musée de Grenoble

Marcel Sembat est alors membre du Jury et parle « d’un salon ouvert à tous les jeunes talents qui ne peuvent percer ailleurs, dans des tendances très différentes : indépendants, bleus ou pointillistes ou élèves directs de Moreau » alors que, reconnus et célébrés, les impressionnistes ne se heurtent plus à aucun refus, tandis que les Nabis, regroupés autour de Paul Sérusier et parmi lesquels Maurice Denis, Pierre Bonnard, Édouard Vuillard et Aristide Maillol, se font progressivement admettre du public, le Président de la République, Émile Loubet, refuse d’inaugurer le Salon, car la presse l’a averti qu’il s’y trouvait des œuvres inacceptables.

Ces œuvres, elles sont signées Derain, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck et sont exposées dans la salle VII.
Le très influent critique Louis Vauxcelles (1870-1945) écrit dans son compte rendu qu’au milieu de ces « oseurs », ces « outranciers », ces « incohérents », ces « sauvages » la « candeur des bustes surprend au milieu de l’orgie de tons purs. C’est Donatello parmi les fauves »
Le terme demeure et la salle VII devient la « cage aux fauves » tandis que naît ce grand mouvement pictural, qu’est le fauvisme, séparant la couleur de sa référence à l’objet libérant ainsi toute sa force expressive.
A l’occasion de ce salon, Georgette Agutte et Marcel Sembat font la connaissance de Maximilien Luce, auquel ils présentent Alfred Veillet qui devient son plus fidèle ami.

1907 – Georgette Agutte expose au Salon d’automne avec les Fauves et les Nabis des faïences stannifères, réalisées dans l’atelier du céramiste André Metthey.

1908 – Construction du salon-atelier en surélévation à Bonnières, lieu de travail préféré des Sembat.

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Georgette Agutte, "Venise du Lido"
Gouache sur papier, circa 1900-1905
© Musée de l’Annonciade, St Tropez

Du 3 au 15 novembre, Georgette Agutte expose pour la première fois, seule, à la Galerie Georges-Petit, l’une des plus importantes galerie de l’avant-garde.

Cent quarante-huit aquarelles gouachées peintes au cours des voyages en Italie, Allemagne, Hollande, Égypte etc.) sont présentées.

La préface du catalogue est rédigée par Arsène Alexandre (1859-1937) critique d’art renommé, présentant pour l’occasion Georgette Agutte comme « une artiste vraie. »
Un critique de la revue Le Gaulois affirme que « Jamais jusqu’à ce jour, aquarelliste ne marqua son art d’une plus profonde empreinte »

La même année, le couple achètent deux œuvres majeures de Matisse à la Galerie Bernheim-Jeune, Les Tapis Rouges (1906) et Marguerite lisant (1906) ainsi que Femme à la chemise (1908) de Van Dongen.

Du 24 janvier au 5 février 1910 – Georgette Agutte expose à la Galerie Eugène-Druet soixante-deux huiles et vingt-six aquarelles gouachées, pour l’essentiel des nus, paysages, et fleurs. La critique est unanime en précisant « nous sommes en présence, vraiment, d’une exceptionnelle nature d’artiste. »

1912 – Georgette Agutte présente Mitsouko à sa toilette au Salon d’automne.

Cette œuvre magistrale révèle l’attrait fascinant, exercé par les arts d’Extrême-Orient, sur la production artistique européenne de l’époque, en proposant une vision totalement nouvelle, en rupture avec les conventions de la peinture occidentale.

Héroïne Japonaise du roman La Bataille, publié en 1909 par l’académicien et Prix Goncourt Claude Farrère, l’histoire de Mitsouko dont le nom signifie « le mystère », est celle d’une liaison amoureuse infortunée avec un dirigeant anglais au début du 20ème siècle, alors que le Japon, avec l’aide officieuse de l’Angleterre, nourrit l’espoir de gagner la guerre qui l’oppose à l’empire russe.

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Georgette Agutte, "Mitsouko à sa toilette"
Huile sur toile, 1912
© Musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie

Achevée avec la participation de Matisse « qui a refait l’ombre qui, bleue, était une lumière et ne calait rien, avec de la terre d’Italie étalée au pouce, il a rebâti le tableau, rien qu’en changeant l’ombre. Le bleu de la droite s’est mis à luire, le jaune du fond à reculer, la robe rouge a pris le corps, le guéridon a surgi, l’arbre nain s’est avancé » (Marcel Sembat, Les Cahiers Noirs, Viviane Hamy, Paris, 2007) cette grande composition en abîme, révèle avec force, toute la beauté sensuelle de cette héroïne, exaltée par la palette éclatante aux couleurs pures et contrastées d’une artiste libre et passionnée.

Mitsouko à sa toilette représente l’un des plus beaux témoignages de cet intérêt pour les arts d’Extrême-Orient, introduit en Europe grâce aux expositions universelles de Londres et de Paris, en 1862 et 1878.

1912 est aussi l’année de la première utilisation du fibrociment comme support à la peinture. Pionnière du genre, Georgette Agutte s’approvisionnait directement à l’usine de Bonnières.

A la fois rigide et léger, ce support fait de plaques de mortier et de fibres d’amiante se révèle facile à travailler et à découper. L’idée sera reprise par Miró et Picasso.

Du 9 au 14 mars 1914 – Georgette Agutte expose à la Galerie Berhneim-Jeune trente et une huiles sur toile et fibrociment et trente huit aquarelles gouachées.

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Georgette Agutte, "Panier de Kakis"
Huile sur fibro-ciment, s.d
© Musée de Grenoble

A ce propos, Marcel Sembat écrit : « Grand succès d’un Gé (Georgette) ! Grand succès fibrociment ! Dieu que j’étais content. Samedi à l’accrochage ! René Piot le matin, et Matisse accrochant ! Et Fénéon souriant ! »

Le catalogue de l’exposition est préfacé par Gustave Kahn (1859-1936) poète et critique d’art, devenu secrétaire particulier de Marcel Sembat, nommé la même année Ministre des Travaux publics.

Georges Agutte dédicace personnellement le catalogue d’exposition pour Marcel Sembat en ces termes « Je dédicace ce catalogue au vrai inventeur de la peinture sur fibrociment, à mon cher aimé et si gentil mari Marcel Sembat. »

Du 30 juin au 11 juillet 1919 – Georgette Agutte expose à la galerie Bernheim-Jeune trente-quatre peintures sur fibrociment, cinq sculptures et vingt-cinq aquarelles gouachées.

Gustave Kahn écrit dans le Mercure de France : « Mme Agutte s’est créée un procédé par l’utilisation, comme substrat de ses peintures, des plaques de fibrociment. Cela donne à ses œuvres des aspects de fresque très cohérents à son faire volontaire, à la rigueur de son dessin, à la simplicité d’harmonies rares, parfois contrastées et audacieuses, auxquelles elle se plaît. »

Le couple fait l’acquisition d’un chalet à Chamonix, le Murger.

1922 – Marcel Sembat meurt d’une hémorragie cérébrale à Chamonix le 5 septembre.

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Georgette Agutte, "Dernier Autoportrait au béret violet"
Huile sur panneau de fibres, 1917

Ne pouvant lui survivre, Georgette Agutte se suicide d’une balle dans la tête en laissant derrière elle ce billet : « André (André Varagnac, 1894-1983, neveu de Marcel Sembat) dis à maman combien je l’aime. Je ne veux pas la revoir, sans cela je n’aurai plus de courage et je veux rejoindre mon aimé. Pensez à nous deux. Vous, je vous aime, mais je sais que je ne peux vivre sans lui. Minuit, 12 heures qu’il est mort, je suis en retard. »

Le 7 septembre, les funérailles ont lieu à Bonnières où le couple est inhumé.

1923 – Le Musée de Grenoble par l’intermédiaire de son très inspiré conservateur, André Farcy (1882-1950) et après avoir fait entrer une importante collection d’art moderne avec des œuvres de Picasso, Bonnard et Matisse, obtient les legs de la collection Agutte-Sembat.

Comprenant cent soixante-sept œuvres dont quatre-vingt-dix œuvres de Georgette Agutte, l’ensemble est constitué de sculptures, dessins et céramiques d’artistes fauves tels Matisse, Marquet, Derain et néo-impressionnistes tels Cross et Signac.

Une rétrospective est organisée la même année au Salon d’automne à l’initiative de Gustave Kahn.

1924 – L’inauguration des salles de la collection Agutte-Sembat au musée de Grenoble se tient le 11 septembre.

Georgette Agutte laisse derrière elle une œuvre abondante et de tout premier ordre.

Puisant dans son inspiration créatrice, elle n’eut de cesse de révéler ce qu’elle ressentait et ce qu’elle était, au travers d’une palette tantôt provocante, tantôt douce, impertinente et maîtrisée, toujours dans le but de ne pas « perdre un instant de l’émotion qui nous saisit » comme se plaisait à le dire Corot.

Encore trop peu connue et reconnue du public, Georgette Agutte a fait de l’art sa vie et Paul Valéry de conclure à son propos :

« C’est beau. Cette femme a été magnifique »

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Georgette Agutte dans son atelier
Photographie, circa 1909
© Archives nationales

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